mardi 17 janvier 2017

Irak (et Syrie) - L’action des militaires français auprès des unités irakiennes ou kurdes (et syriennes) : 6ème division et ICTS (2/5)

Après un premier volet de présentation du dispositif militaire français au sol en Irak (et dans une moindre mesure de celui en Syrie), il s’agira de revenir sur les actions menées au quotidien par ces militaires, qui adaptent en permanence les formations et les conseils dispensés aux forces locales.
 

Auprès de la 6ème division : conseils et formations sur toujours plus de nouvelles capacités 

La Task Force (TF) Monsabert est insérée auprès de la 6ème division d’infanterie (DI) irakienne. Ce détachement porte le nom du général Monsabert, figure de la 3ème BLB (brigade légère blindée) qui en a fourni la majorité des effectifs en 2015. Cette grande unité française est dissoute depuis juin 2016, mais son souvenir demeure via cette dénomination rappelant sa filiation historique avec la 3ème division d’infanterie algérienne (DIA), unité commandée durant la 2nde Guerre mondiale par ce général. Pour ce qui concerne la 6ème DI irakienne, elle est une des 4 divisions des forces terrestres irakiennes chargées de la sécurité de la capitale Bagdad, notamment dans son quart Nord-Ouest. Son effectif est plutôt du volume d’une brigade française, entre 5.000 et 10.000 hommes répartis au sein d’au moins 3 brigades (56ème, 22ème et 24ème ?), comme présenté dans un précédent panorama. Montrant l’importance accordée à la sécurité de la capitale par les autorités irakiennes, la ville et sa ceinture concentrent près de 50% des forces de sécurité irakiennes (armée et police), 28.000 hommes répartis en environ 14 brigades.

Lorsque débute la mission des militaires français début 2015, la division est à l’image du patchwork confessionnelle de l’armée irakienne, avec un état-major comme bon exemple. Le commandant, le général de division Ahmed Salim Bahjat Al Utbi, a pour père un chiite tandis que sa mère est sunnite, faisant de lui, d’un point de vue communautaire, un chiite. Comme d’ailleurs 70% environ du reste de la division. Si son chef d’état-major est lui aussi chiite, le sous-chef en charge des opérations est lui sunnite, quand le commandant en charge de la force protection de l’état-major est chrétien.
 

Auprès de ces militaires irakiens, officiers notamment, les militaires français assurent une mission dite "Advise and Assist", de conseil d’état-major pour aider les forces irakiennes à planifier et conduire leurs propres opérations. Il s’agit, dans un premier temps du moins, d’améliorer les capacités de commandement de cette unité, plutôt expérimentée, et de développer certaines capacités manquantes ou déficientes. Ainsi, par exemple, un capitaine français de l’arme du Génie conseille l’état-major dans ses travaux de planification et de conception des opérations au sein de la cellule en charge de ce domaine. Plus globalement, les thématiques de ses « travaux aux techniques d’état-major » sont extrêmement variées, et évoluent mandat après mandat, au gré des demandes et des avancées : suivi d’une situation tactique, planification dans l’urgence, création de listes d’évènements, gestion des flux logistiques de l’arrière jusqu’aux lignes de front (commandes, stocks, pièces de rechanges, etc.), une des grandes faiblesses de l’armée régulière irakienne, emploi des systèmes d’information et de communication (SIC), renseignement, maintenance, etc. Du fait d’une dotation en véhicules plutôt d’origine américaine (blindés M998 HMMWV, M113, etc.), les militaires français se font épauler par des militaires américains pour les questions de maintenance et de logistique.

Assez rapidement, les militaires français prennent conscience de certaines lacunes et évaluent la nécessité d’améliorer aussi les capacités de formation de cette unité, en assurant des formations pour les futurs formateurs, selon la logique "train the trainer", pour amplifier l’effort et accélère l’atteinte de l’autonomie. Ces formations seront effectuées à effectifs quasi constants, en s’appuyant sur les ressources internes de la TF. Ainsi, l’équipe sanitaire soutenant à l’origine médicalement le détachement français effectuera des instructions dans le domaine du secourisme de combat. La section de protection dispensera des formations dans le domaine du tir avec les fusils M16 en dotation (notamment pour les sections de réaction rapide de la division), de la topographie, de l’emploi de missiles anti-chars AT4 CS, etc. Parfois, ces formations se feront à l’extérieur de l’état-major de la 6ème DI comme en avril 2016 avec un stage de maniement des fusils d’assaut mené à Besmaya, à l’Est de Bagdad. Pour le secourisme, chaque session pour 10 stagiaires dure 7 jours (délai contraint du fait des activités opérationnelles), alternant théorie, pratique et mise en situation. Elle comporte notamment l'enseignement du SAFE MARCHE RYAN, chaque lettre de l’acronyme rappelant des problématiques à traiter pour la prise en charge des blessés de guerre. L’équipe française accompagnera ensuite les premières formations que les nouveaux moniteurs irakiens mettront en œuvre.

Le défi est alors de préserver ces moniteurs, en essayant de ne pas les ré-engager immédiatement dans les opérations, pour qu’ils puissent consacrer du temps à la transmission des savoirs. Durant le premier mandat (de mars à juillet 2015), 150 instructeurs ont été formés au cours de 17 stages d’une durée de 15 jours, dans le domaine du secourisme au combat et de la lutte contre les engins explosifs. Chaque instructeur était censé être capable de former à son tour 10 combattants en deux semaines. En théorie, la 6° division devenait capable d’assurer la formation de 1.500 soldats par mois.

Il ne s’agit donc pas de former directement tous les militaires irakiens dans l’ensemble des domaines, mais bien de former des formateurs qui à leur tour, par effet de cascades, pourront dispenser leurs savoirs. Et cela, d’autant plus que, pendant ce temps, les opérations continuent à un rythme soutenu, notamment durant la reprise de Ramadi de décembre 2015 à février 2016, ville à moins de 100 km du quartier-général de la division. Si la division reste généralement dans sa zone traditionnelle de responsabilité, elle est parfois employée en renforts lors d’opérations en-dehors de la grande ceinture de la capitale. C’est le cas fin mai-début juin 2016 où elle prête un coup de main lors de la reprise de Falloujah en combattant dans certaines localités au Nord de la ville (Karmah ou Saqlawiyah) pour alléger la charge d’autres unités plus directement concernées. Ce rythme opérationnel soutenu ne se fait pas sans perte, comme début 2015, où le chef du bataillon de reconnaissance de la division est tué, contact régulier des militaires français. Aujourd’hui, elle n’est pas directement concernée par les opérations à Mossoul, au-delà de la nécessité de ne pas laisser l’organisation de l’EI mener des opérations de diversions et d’harcèlement ailleurs sur le territoire (attentats suicides dans la capitale, opérations complexes pour disperser les forces irakiennes à Ramadi, etc.). Elle est ainsi déjà particulièrement impliquée dans la phase de stabilisation, qui suit la phase de reconquête des territoires et de pertes de certaines zones sanctuaires de l’organisation de l’Etat islamique.

Auprès de l’ICTS : entre stagiaires très expérimentés et nouvelles recrues

Pour sa part, la TF Narvik (du nom de la bataille menée en mai et juin 1940 durant la campagne de Norvège, notamment par la 13ème DBLE, unité qui composait la première année le gros des effectifs de cette TF) est pleinement orientée sur des formations de niveau tactique, à une autre grande unité aujourd’hui sur le devant de la scène : l’ICTS (Iraqi Counter Terrorism Service). Ce service de contre-terrorisme, composé de 7.500 à 10.000 hommes, est aux ordres du Premier ministre irakien. Il est aujourd’hui sur-utilisé comme infanterie légère, et non comme forces spéciales, dans toutes les récentes opérations. Si le dispositif français a peu évolué, le fond des formations n’a cessé d’évoluer durant les 2 années passées au sein de l’académie de l’ICTS, non loin de l’aéroport international de Bagdad. Particulièrement appréciée, cette action bilatérale a conduit les responsables irakiens à élargir leurs demandes de formations, parfois hors du spectre initialement prévu par la Coalition, comme dans le domaine du commandement (notamment au profit des sous-officiers).

 

Le détachement français y dispense une instruction de base (pour les nouvelles recrues), avancée (pour des instructeurs), spécialisée (dans des domaines bien précis) ou ultérieure (de reformation de vétérans de retours d’opérations). Les domaines couverts sont nombreux : combat en zone urbaine, combat d’infanterie, lutte contre les engins explosifs, sauvetage au combat, entraînement physique et sport de combat, franchissement d’obstacles, techniques commando, etc. La durée de ces formations varie de deux à huit semaines. Là aussi certaines formations sont réalisées en-dehors des emprises traditionnelles, comme une « advanced sniper course » menée en avril 2016 (en collaboration avec les forces spéciales espagnoles) sur le camp de Taji à 30 km au Nord de Bagdad, pour les membres de l’ICTS et des grandes unités en charge de la sécurité de Bagdad, dont la 6ème DI.

La formation s’adapte en permanence en fonction des retours d’expérience fournis en direct par les militaires irakiens qui reviennent des zones de combats (Tikrit, Ramadi, Falloujah, Baiji, et dernièrement Mossoul). Entre 25 et 45% des effectifs totaux de l’ICTS sont déployés sur ces reprises successives de villes et de leurs alentours, le reste étant composé de l’Emergency Response Division en charge du contre-terrorisme à Bagdad et de brigades décentralisées (comme à Tikrit ou Bayji). La contrepartie de cette importance de l’ICTS pour les opérations en cours est que les priorités changent régulièrement (notamment dans les domaines couverts), et la pression est forte pour fournir des éléments correctement formés et en nombre. Il s’agit de ne pas faire l’impasse sur la qualité (sous la pression des événements), malgré le temps que cela demande de former de nouveaux membres. Ainsi, il ne s’agit pas seulement de recycler des militaires de retour d’opérations, mais bien de combler aussi les pertes causées par les combats. Pour Mossoul, ces pertes (tués ou blessés) s’élèveraient, selon des sources locales, autour de 20 et 30% pour les bataillons engagés (au moins le 1er et le 2nd de la 1ère brigade), sans atteindre les 50% parfois annoncés à tort. Elles restent néanmoins assez élevées pour faire craindre un temps à une possible mise hors de combat de cette unité, par effondrement, si rien n’était fait pour redonner du muscle : soit par des renforts internes avec de nouveaux membres (au moins 300 à la fin du mois de décembre), soit en offrant des temps de récupération (comme entre mi et fin décembre 2016, juste avant la relance de l’assaut à Mossoul), soit par renforts externes via l’apport d’autres unités (unités spéciales de la police fédérale, notamment de la Rapid Response Division, emploi par l’Est de la 9ème brigade, par le Sud de la 76ème brigade et par le Nord de la 16ème division dans une approche moins attentiste à Mossoul, etc.).

Pour renforcer l’ICTS, la TF Narvik s’est engagée, surtout depuis mars 2016, dans le processus de sélection et de formation de nouvelles recrues sur 4 semaines (dite "Selection course"). Un screening préalable doit éviter le recrutement d’individus ayant des liens avérés avec des groupes armés terroristes. Des tests physiques sont ensuite menés avant de rentrer pleinement dans l’instruction. Lors d’une récente formation, les militaires français s’occupaient de 2 sections d’une quarantaine de volontaires irakiens, sur les 5 en formation. Deux militaires français travaillaient en collaboration avec des militaires irakiens, dont certains avaient été préalablement formés comme instructeurs. La TF a aussi mené une "Leadership course" pour renforcer les capacités de commandement des militaires déjà formés, qui, au cours d’un passage à Bagdad, entre deux opérations, rafraichissent leurs connaissances. Le temps disponible reste limité pour faire acquérir des compétences complexes, comme lors d’un stage de 3 semaines pour 15 stagiaires encadrés par 2 spécialistes françaises NEDEX (neutralisation, enlèvement, destruction des explosifs).
 
 
Au-delà des formations et de la mise en place de procédures de sélection, les militaires français ont participé à la réalisation d’infrastructures pour faciliter la formation. Tout d’abord, une salle de lutte contre les pièges inaugurée en octobre 2015, afin de faire face aux engins explosifs dont l’organisation Etat islamique truffe le terrain afin de retarder la progression des forces de sécurité irakiennes et le retour à la vie normale des habitants. Cet espace pédagogique rempli d’exemples de dispositifs piégés (dont sur des véhicules) est utile pour illustrer les formations. Ensuite, un site d’entraînement au combat urbain, reproduisant des habitations afin de s’entraîner à la fouille des pièces, dont l’inauguration a eu lieu en juillet 2016. Ces infrastructures sont complétées par celles fournies par d’autres contingents, comme un parcours sportif d’obstacles fourni par les forces spéciales belges et néerlandaises, également présentes. Ce Task Group 631 belgo-néerlandais d’une trentaine de membres (aujourd’hui plutôt aux alentours d’une quinzaine) est d’ailleurs illustratif d’une approche différente choisie par les partenaires des militaires français. Bien que déployé en même temps que la TF Narvik, en février 2015, il a préféré s’installer dans le "Baghdad Diplomatic Support Center" géré par le département d'Etat américain, et non au sein de l’académie de l’ICTS, comme les Français.

Au final, la TF Narvik gère plusieurs centaines de stagiaires en simultanée (jusqu’à 500), en s’appuyant sur les traducteurs locaux, secondés par des officiers irakiens de liaison, eux-mêmes servant aussi de formateurs. Durant les mandats, notamment les premiers menés par des unités issues de la Légion étrangère, la présence d’arabophones dans les rangs a grandement facilité la mission et sa réalisation, fondée sur le triptyque pédagogique connu dans la Légion étrangère : montrer, démontrer, faire-faire. Une fois en opérations, d’autres militaires français, plus discrets, prennent le relais et assurent le « service-après-formation », notamment à Mossoul, comme cela sera décrit dans le prochain épisode.

A suivre : du côté des forces spéciales, à propos des équipements donnés, quels résultats  quantitatifs et qualitatifs, et quelles évolutions possibles…

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