lundi 10 juillet 2017

Irak et Syrie - Quels scénarios possibles pour l'évolution de l'engagement militaire français ?

Au-delà de quelques déclarations, relativement creuses, déclinées autour de « La campagne de la Coalition internationale n’est pas achevée et la lutte contre Daech doit être poursuivie avec détermination. La France maintiendra son effort militaire », peu de responsables politiques et militaires français se sont exprimés ces derniers mois sur le devenir à moyen terme de l’engagement militaire français en Irak et en Syrie.

Il est sans doute possible de débattre longtemps pour savoir si la reprise de Mossoul, qui devrait être annoncée d'ici quelques jours par les autorités irakiennes, est le début de la fin ou la fin du début pour l’organisation Etat islamique en Irak (et ce que "reprise" veut dire). Si elle est bien une étape, plutôt bienvenue, elle en est surtout qu’une parmi bien d’autres. D’ailleurs pas forcément la plus complexe à atteindre, malgré les souffrances et les difficultés pour y parvenir par l'ensemble des acteurs, locaux ou internationaux.

 
Actuellement, l’engagement militaire français peut se résumer en 4 blocs : 
  • Un volet commandement/soutien, à la fois national et international, permettant aux autres volets d’opérer ;
  • Un volet renseignement, auquel participe toutes les composantes (aérien, spatial, naval, du fait de l’absence de porte-avions limitant une participation au volet appui, forces spéciales, etc.) ;
  • Un volet appui : terrestre, via l’artillerie, aérien et potentiellement maritime, lorsque le porte-avions est disponible, ou potentiellement avec les missiles de croisière des frégates ;
  • Un volet accompagnement/formation, pour le coup quasi exclusivement terrestre (via forces conventionnelles et forces spéciales).
Si l’adaptation du dispositif militaire français de l'opération Chammal est quasi permanente pour appuyer la reconquête des territoires par les forces locales, quid de son évolution à moyen terme ? Censé être bâti pour répondre au mieux à la situation rencontrée (notamment à l’action de l’ennemi) autant qu'employé pour façonner la situation future, ce dispositif est donc dépendant d’un certain nombre de facteurs (plus ou moins maitrisables), qu’ils seraient bien présomptueux de décrire de manière définitive et trop assurée. Ainsi, bien plus qu'un choix ferme d'un des 4 scénarios-types décrits ci-dessous, il s'agira sans doute de placer le curseur des efforts un peu plus ou un peu moins sur l'un ou l'autre.
 

Scénario 1 : priorité à l’Irak

Au-delà de Mossoul, des zones sanctuaires sont encore non reprises, comme les agglomérations de Tel Afar (ouest de Mossoul) et Hawija (plus au Sud), ou plus globalement de larges pans de la province d’al-Anbar à l’Ouest de Bagdad (notamment Al-Qa’im à la frontière avec la Syrie), dans la province de Salah ad-Din au Nord de Bagdad. Des opérations sont en cours ou à venir (avec le transfert des moyens coalisés de la base aérienne de Qayyara au Nord-Est de Mossoul vers celle d’Ain Assad, plus au Sud-Ouest), notamment grâce aux effectifs libérés par l’atteinte de certains objectifs à Mossoul. Certaines capacités, notamment françaises, les ayant précédé depuis plusieurs mois (renseignement, frappes, opérations spéciales, etc.).

De plus en plus, les forces de sécurité locales en Irak basculent dans une logique de stabilisation, plus que d’intervention (selon le descriptif théorique :  prévention, intervention, stabilisation, normalisation), qu’il serait possible de soutenir et d’appuyer. rentrant pleinement dans la 4ème phase de l'opération coalisée Inherent Resolve (degrade, counterattack, defeat, support stabilization) dans laquelle s'inscrit l'opération française. La France le fait déjà depuis des années, notamment via le conseil et la formation dispensés à la 6ème division irakienne en charge de la sécurité du quart Nord-Ouest de Bagdad. Cette grande unité fait face à ce qui pourrait être le futur des menaces de l'Irak, une bascule pour l'Etat islamique et des groupes similaires de moyens conventionnels à une approche plus clandestine faite d’harcèlement, d’attentats, d’assassinats, etc.

Si la décision est prise par les autorités françaises d’accompagner dans la durée la phase de stabilisation, il est possible d’envisager qu’à moyen terme, une autre grande unité en charge d’une autre zone pourrait être appuyée, par exemple. En plus d’un effort significatif dans la coopération structurelle, et non uniquement opérationnelle, au sein des états-majors ou dans certaines capacités clés (logistique, etc.). Un effort sensible pourrait également être fait dans le domaine de la sécurité pour soutenir les unités locales de police, plus à même de répondre aux problématiques sécuritaires futures : déminage (déjà un axe d'effort actuel, pouvant être renforcé par des moyens du Génie), maintien de l’ordre (notamment du fait des problématiques du devenir de certaines milices, aujourd'hui employées lors des opérations de reconquête, et demain potentiellement à démobiliser), groupes d’intervention face aux cellules dormantes, police judiciaire et scientifique, police aux frontières, etc. Aujourd’hui encore peu ou pas employées, les unités françaises de gendarmerie ou de police pourraient alors avoir un rôle plus important qu'aujourd'hui.


Scénario 2 : priorité à la Syrie

Alors qu’en Syrie la coalition de forces locales (Syrian democratic forces) a débuté leur progression dans les faubourgs et au cœur de Raqqa, de larges pans du territoire syrien restent aux mains de l'organisation Etat islamique et d'autres groupes terroristes. C'est notamment le cas dans toute la basse vallée de l’Euphrate et la zone frontière irako-syrienne (Deir ez-Zor, Mayadin et Abou Kamal, jusqu’à Al-Qaïm, en Irak). Si la valse des pourcentages de quartiers repris à Raqqa (20%, il y a quelques jours) et des dates d’estimation de fin des opérations de reconquête (d’ici 3 mois, il y a également quelques jours) se succèdent, les opérations sont loin d'être terminées. Même si les opérations sont globalement plutôt linéaires, avec pour le moment peu de retraits malgré les contre-offensives, plus souvent des "pauses" plus ou moins subies (comme à Mossoul).

Afin d'accélérer ces opérations, une bascule d’efforts pourrait être réalisé. Ainsi, le groupement d’artillerie, devenu moins pertinent avec la fin des opérations de reprise de Mossoul et la dilution de celles menées pour reprendre les autres zones sanctuaires en Irak, serait envoyé en Syrie afin d’accélérer la reprise de la ville, en appui des forces spéciales qui aujourd’hui sont déjà présentes auprès des unités locales. Poursuite d'une position rare puisque la France est la seule, avec les Etats-Unis, à avoir déployé un tel système d’appui-feu, pour le moment uniquement en Irak. De plus, et alors que la phase 4 en Syrie reste encore plus empreint d’incertitudes, une participation à la formation d’unités locales en charge de soutenir la gouvernance petit à petit mise en place, pourrait aussi être envisagée, type Raqqa Internal Security Force. Ce qui, contrairement à l'Irak, n'est pas ou peu le cas actuellement, où les opérations sont plus d'accompagnement et d'appui que de formation.

De plus, il n'est pas impossible qu'à moyen terme, du fait d'une relative impasse dans la convergence des intérêts des différents acteurs régionaux et internationaux, un durcissement des oppositions se fasse jour, notamment entre les blocs ("puissance tutélaire et affiliés") : Etats-Unis, Turquie, Russie, et dans une moindre mesure Iran et Syrie. En conséquence, et dans le cas d'une dégradation forte des relations, un renforcement des moyens du haut du spectre n'est pas à exclure, à la fois pour participer à un équilibre dissuasif des forces, voir avoir des moyens coercitifs, notamment de frappes dans la profondeur (en cas d'utilisation caractérisée d'armes chimiques, mais pas seulement). Cela pourrait être le cas via missiles de croisière MDCN/Scalp navals ou aériens, avec les moyens associés (avions ravitailleurs, appareils de supériorité aérienne pour des missions air-air, etc.). Et cela au-delà des moyens actuels employés en interposition par d'autres acteurs (convois visibles de forces spéciales, etc. mais qui pourraient être renforcés par des moyens lourds déployés au sol, dans des missions d'interposition à hauts risques) ou d'éventuels zones d'exclusion aérienne, de désescalade ou de cessez-le-feu (surveillées via des observateurs, correctement accompagnés et protégés).

Scénario 3 : priorité aux partenaires régionaux

Du fait de la chute à venir des deux capitales de l'organisation Etat islamique, et les tentatives de ne pas laisser de zones sanctuaires, une dispersion de ces membres est en cours. Certaines pays, frontaliers de la Syrie et l'Irak, notamment la Jordanie ou le Liban (et dans une moindre mesure l'Arabie Saoudite), sont au cœur de cette problématique de déplacements des membres de l'Etat islamique mis sous pression. Bénéficiant de situations favorables dans certaines pays frontaliers (politiques, économiques, sociales, etc.), au sein des camps de réfugiés et au sein de zones frontalières délaissées, ils pourraient avoir la tentation de s'y réimplanter et de s'y enkyster. Ainsi, la priorité pourrait être mis à la fois sur un containment, et la surveillance des lignes de fuite et d'éparpillement. Il s'agit donc de garantir la stabilité, déjà parfois menacée, de ces états.

En conséquence, un effort supplémentaire par rapport à l'investissement actuel pourrait être réalisé auprès de ses partenaires, via la mise à disposition de moyens de surveillance (aériens et navals, dès lors qu'il y a des côtes à proximité, comme en Méditerranée Orientale) aux frontières, avec éventuellement des moyens de frappes. Cela pourrait se faire via un renforcement des moyens déployés sur la base H5 en Jordanie, en mesure de couvrir un large pan des frontières concernées. Un tel choix, et une telle priorité, pourrait s'expliquer par une volonté de ne pas s'impliquer dans le possible futur choc des blocs (comme décrit au-dessus) où la France n'aurait que peu de leviers directs de désescalade, tout en ayant sans doute plus avec des partenaires stratégiques anciens.

Il en sera également de même via une coopération plus intense (livraisons d'équipements, détachements d'instruction opérationnelle, formations, accompagnement, etc.) d'unités locales, au-delà des efforts déjà en cours que cela soit en Jordanie (notamment avec les forces spéciales) ou au Liban (en partie via la FINUL au Sud, mais également plus au Nord de manière bilatérale). Cela conduirait à aller au-delà des premières annonces faites de soutien aux forces armées libanaises, réitérées par le nouveau gouvernement.


Scénario 4 : fin de mission

Une large partie du dispositif actuel pourrait rapidement se révéler d’une relative utilité dans les mois qui arrivent et pourrait être retiré prochainement, permettant de régénérer le potentiel de certaines capacités (notamment aériennes ou les forces spéciales, dont la mission de renseignement et de formation/accompagnement oblige à un taux d'activité élevé), usées par des années de sur-emploi d'un modèle aujourd'hui non pérenne (qui s'use plus qu'il ne se régénère, cf. les enjeux de la future revue stratégique). Une présence militaire pourrait également se révéler contre-productive si elle est perçue comme une assurance vie, un blanc-seing et une garantie par certains responsables politiques locaux qui ne mèneraient pas les réformes politiques nécessaires pour ne pas réitérer la situation rencontrée en 2013/2014. De plus, la poursuite d'objectif sans fins, "la lutte contre tous LES terrorismes" (sic), pouvant conduire à une impasse si le volet militaire face à des "conflits mosaïques" était trop mis en avant dans le cadre la résolution des crises, et des efforts, immenses, à mener, de négociations politiques de dialogue ou de transition.

C’est par exemple le cas du dispositif d’artillerie, qui bien qu’extrêmement mobile, sera d’un moindre intérêt du fait de la probable dilution de l’adversaire, une fois certains éléments constitutifs de l’état Etat Islamique (territoire, population, souveraineté) mis à mal. C’est également le cas du volet aérien, qui serait alors surdimensionné, et sous employé pour appuyer les opérations de contre-terrorisme, nettement plus policières, alors menées. Un tel désengagement pourrait se réaliser relativement rapidement (en 3 à 4 mois), du fait d’une empreinte au sol actuel, notamment pour le volet artillerie et formation, extrêmement réduite (moins de 600 militaires, 3 à 4 emprises). Un retour sur un dispositif pré-2014, avec le point d’appui régional aux Emirats Arabes Unis, et donc sans la Jordanie, pourrait alors sembler pertinent, les aménagements d’infrastructures en Jordanie permettant néanmoins une possible remontée en puissance si besoin.

Ainsi, plusieurs responsables politiques et militaires de la coalition se sont exprimés sur la nécessité d’une présence de long terme, résiduelle ou non. Le général Canadien Dave Anderson, en charge du volet formation de la coalition, parle ainsi de 10 à 12 mois encore, ou plus surement de 12 à 18 mois, pour le dispositif de formation en l'état actuel. De leur côté, les responsables français sont encore beaucoup plus silencieux, en public, quand bien même, n'en doutons pas, un travail de planification avec plusieurs hypothèses possibles (sans doute potentiellement différents de ceux là, d'ailleurs) a été et est mené, pour permettre aux autorités de trancher. Les semaines prochaines devraient permettre d'en savoir plus.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Je trouve la première photographie magnifique, serait-il possible d'en avoir une version haute définition ?

F. de St V. a dit…

Vous la trouverez ici (je ne sais si elle est vraiment en HD) : http://www.defense.gouv.fr/operations/operations/irak-syrie/actualites/dans-la-lutte-pour-defaire-daech-les-inseres-francais-de-l-operation-inherent-resolve-font-valoir-leurs-multiples-competences-a-tous-les-echelons-de-la-coalition

Anonyme a dit…

Merci pour cette très belle photo des Caesars de nuit. Que de bons souvenirs.